La transition énergétique entraîne une explosion de la demande en lithium, indispensable à la fabrication des batteries électriques. L’Europe, aujourd’hui entièrement dépendante de ses importations, entreprend de relancer l’extraction sur son sol de ce métal devenu stratégique. Quel sera le statut de ces nouveaux travailleurs du sous-sol ?
Les chiffres de la demande en lithium donnent le vertige. Entre 2020 et 2021, cette dernière a progressé d’un tiers et cette augmentation ne va pas s’arrêter de sitôt puisque le lithium est indispensable à la fabrication des batteries électriques.
« Ce n’est pas un métal rare, mais qui a la propriété très utile d’être léger, d’où son intérêt pour la fabrication de batteries, que ce soit pour les téléphones, les ordinateurs ou les véhicules électriques » explique Romain Millot, directeur de recherche au Service géologique national. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande sera multipliée par 40 d’ici vingt ans. Résultat logique : les prix s’envolent. Le prix d’une tonne de carbonate de lithium négocié en Chine (pays qui concentre l’essentiel des capacités mondiales de raffinage de ce minerai) a été multiplié par quatre durant l’année dernière.
« Le lithium est un cas d’école de politique minière appliquée à des objectifs de souveraineté industrielle »
La France est aujourd’hui dépendante à 100 % des importations de cette matière première, en passe de devenir hautement stratégique, alors qu’elle en possède des quantités importantes sur son territoire… « C’est là une conséquence de la politique menée à partir des années 1970 consistant à exploiter les ressources minières des pays en développement, sous prétexte de garder des réserves stratégiques dans le sous-sol français » analyse Jean-Paul Boyer, Secrétaire général du Syndicat des mineurs CGT. « Le lithium est un cas d’école de politique minière appliquée à des objectifs de souveraineté industrielle » confirme Romain Millot.
Un plan d’action baptisé Critical Raw Materials Act pour s’affranchir de cette dépendance à l’égard des importations sera annoncé par la Commission européenne dans les prochains mois. Il couvrira trente matières premières stratégiques pour la transition énergétique : le lithium en premier lieu, mais aussi le cobalt ou le tungstène. En attendant, les projets d’exploitation minière, souvent portés par des multinationales, se multiplient sur le vieux continent : à Barroso au Portugal (pays qui possède déjà quelques petites mines de lithium, mais destiné à la céramique et de qualité insuffisante pour fabriquer des batteries), San Jose en Espagne, Wolfsberg en Autriche, Cinovec en République tchèque, Syvajarvi en Finlande.
L’exemple du site de Beauvoir
En France, le BRGM a identifié une quarantaine de gisements potentiellement exploitables en métropole, pour la plupart en Bretagne et dans le Massif central. Le site de Beauvoir, sur la commune d’Echassières au sud de l’Allier, sera sans doute le premier à être exploité. Le groupe minier Imerys a en effet annoncé son intention de développer l’extraction du lithium sur ce site, où il exploite déjà le kaolin. Le calendrier prévoit le démarrage d’un pilote industrie en 2025, puis le début de l’exploitation proprement dite en 2028. Il s’agit d’extraire sous l’actuelle couche de kaolin, à une profondeur pouvant atteindre 300 mètres, 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium (de quoi équiper 700 000 véhicules électriques) par an, ce qui en ferait, selon la direction d’Imerys, la plus grande mine européenne.
Techniquement, l’exploitation se fera par poches souterraines cubiques de 25 m³ successives, dont les résidus miniers seront remblayés au fur et à mesure après extraction du lithium et d’autres co-produits intéressants (étain, tantale…). La roche extraite sera concassée puis transportée par voie ferroviaire vers une usine d’extraction, dont la localisation n’est pas encore décidée. « Le procédé d’extraction reste à l’état de pilote, et doit être validé pour passer à l’échelle industrielle » précise Romain Millot. Imerys affiche son intention de limiter l’impact environnemental de l’exploitation du lithium à Echassières en suivant la norme IRMA 1, référence de l’exploitation minière responsable. Cependant, de l’avis général, il sera inévitable de consommer des quantités importantes d’eau, indispensable au traitement du minerai. C’est du reste une critique faite par les associations environnementaliste à tous les nouveaux projets miniers en Europe.
Quel statut du mineur ?
Bien que souvent négligée, la question sociale posée par ce renouveau de l’exploitation minière est aussi importante que la question environnementale. Selon Imerys, l’extraction du lithium sur le site de Beauvoir devrait entraîner la création d’un millier d’emplois directs et indirects. Quel sera le Statut de ces nouveaux travailleurs du sous-sol ? Le Statut du mineur, plutôt protecteur, s’applique à une liste de substances extraites du sous-sol (que la mine soit profonde ou à ciel ouvert), définie par un arrêté de 1959. Le lithium en fait partie.
Par conséquent, le Statut du mineur devrait s’appliquer aux futurs salariés des mines de lithium. En revanche, l’affiliation au régime de Sécurité sociale des mines, offrant en particulier un remboursement à 100 % des frais de maladie et la retraite à 55 ans, a été fermé en 2011. « La perspective d’ouverture de nouvelles mines, même s’il y aura moins de personnel qu’avant du fait de la mécanisation, obligera à retrouver des droits d’avant-garde pour ceux qui travailleront dans le sous-sol » observe Jean-Paul Boyer.
Surtout, le syndicaliste souligne que le Nouveau Code minier, adopté par une série de réformes successives visant à mieux protéger l’environnement et à améliorer la concertation avec les populations avant toute nouvelle exploitation n’a pas réglé une question essentielle : « A qui profite la richesse extraite ? A un groupe privé ? Ou à un profit partagé entre les populations et la nation ? Répondre à cette question est indispensable si l’on veut rendre acceptable les nuisances inévitables liées à toute exploitation minière ».
L’alternative géothermale
Une autre technologie d’extraction du lithium est envisageable : exploiter le lithium dissous dans des eaux souterraines chaudes, déjà captées pour une installation de géothermie. Dans ce cas, la production minière serait un complément d’activité pour des entreprises de l’énergie. C’est ainsi que Electricité de Strasbourg s’est associé au groupe minier Eramet pour explorer les possibilités d’extraire du lithium des eaux captés par la centrale géothermique de Soultz-sous-Forêts (Bas-Rhin). La faisabilité technique est confirmée.
Reste à en évaluer le coût économique. Extraire ce lithium dissous dans la saumure est en effet une opération complexe et plus onéreuse, à quantité égale, que l’extraction à partir du sous-sol. Mais elle a aussi l’avantage écologique indiscutable de consommer beaucoup moins d’eau (la saumure étant ensuite réinjectée sous terre) et de regrouper sur un même site extraction et production d’un lithium de qualité batterie, ce qui limite les transports, donc les émissions de gaz à effet de serre.
Plusieurs projets comparables à celui de Soultz-sous-Forêts sont développés tant du côté français que du côté allemand le long du Rhin, entre Vosges et Forêt noire, où l’exploitation de la géothermie est bien implantée. « Nos estimations indiquent que l’exploitation du lithium des saumures géothermales pourrait fournir 20 à 30 % de production européenne d’ici à 2040 » précise Romain Millot.
Nicolas Chevassus