Face à la crise du secteur énergétique et aux enjeux climatiques, Fabien Gay, sénateur (PCF) propose la création d’un grand service public de l’énergie et de trois EPICs pour l’électricité, le gaz et le pétrole. L’occasion également pour revenir sur la fermeture annoncée de Cordemais et des scandales de l’Arenh.
EDF a annoncé le 23 septembre dernier l’abandon du projet EcoCombust et la fermeture de la centrale à charbon de Cordemais en 2027. Une réaction ?
Fabien Gay : D’abord, c’est un projet exemplaire porté par la CGT qui révèle toute l’intelligence ouvrière. Un projet qui porte la question de l’emploi, de l’industrie, de la transition énergétique et écologique.
Pour remplacer à terme le charbon, les travailleurs de Cordemais ont travaillé contre vents et marées ce projet EcoCombust et la production de pellets. Après de multiples tergiversations des directions et des ministères, EDF décide aujourd’hui d’enterrer ce dossier sur la base d’une question financière. L’État qui est actionnaire unique, devrait positivement répondre à ce projet, d’abord, pour le réseau électrique et, car c’est un projet d’innovation. C’est une incompréhension, d’autant plus que le président de la République y était plutôt favorable, comme la ministre Agnès Pannier-Runacher à qui j’ai immédiatement écrit. Une des premières décisions de ce gouvernement ne peut pas être de sacrifier les salariés de Cordemais. L’État doit donner les moyens à EDF pour développer ce projet comme tant d’autres. Quelles que soient les formes de luttes prises par les agents de la centrale, je serai à leurs côtés.
Une des premières mesures annoncées par la ministre Agnès Pannier-Runacher serait la mise en place de la « taxe EDF », qui permettrait de prélever 3 milliards d’euros sur les revenus des capacités de production d’électricité dans les caisses de l’énergéticien. Quel serait l’impact sur les projets, les investissements, l’emploi, les filières selon vous ?
F. G. : Au moment où on va devoir décider des investissements futurs, notamment pour le nouveau nucléaire et l’EPR2, qui va devoir mobiliser plusieurs dizaines de milliards d’euros, c’est un mauvais coup fait à EDF. Je rappelle que pendant la crise COVID, la Cour des comptes a estimé que les énergéticiens avaient réalisé 37 milliards d’euros de marges, et Bruno Le Maire à l’époque avait déclaré qu’on allait taxer les énergéticiens et récupérer 12,8 milliards d’euros. Le réel, c’est 600 millions.
Je propose qu’on remette la main sur le magot des acteurs alternatifs qui ont largement profités des largesses du bouclier tarifaire et fait beaucoup d’argent sur le dos des Françaises et des Français, qui sont devenus des vaches à lait.
On a ré-étatisé EDF. Si c’est pour l’amputer de sa capacité d’innovation et d’investissements, ce n’est pas logique. Avec le groupe communiste, je me battrai pour donner les moyens à EDF pour qu’elle puisse réaliser sa mission de service public. Pourquoi taxer EDF et pas les autres, qui mis à part Total et Engie, ne produisent rien !
Invité au dernier conseil général de la fédération, vous avez dénoncé l’utilisation frauduleuse de l’Arenh, et rappelé que l’entreprise Ohm Énergie a été condamné à 6 millions d’euros d’amende pour avoir commis un abus du droit d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique en 2021 et 2022. À quand la suppression d’un dispositif que vous qualifié de pourri ?
F. G. : Ce dispositif devrait être remplacé en fin d’année prochaine pour être remplacé par un nouveau dispositif où tout sera libéralisé. Je suis pour qu’on pousse les investigations.
En 2022, j’avais alerté la présidente de la CRE. La ministre Agnès Pannier-Runacher m’avait traité à l’époque de menteur. Le Comité de Règlement des Différends et Sanctions de la CRE (CoRDiS)vient de sanctionner en juillet Ohm Énergie, c’est une première historique même si on est loin du compte. C’est un premier pas.
Dans un rapport d’information « Mieux prévenir et réprimer la fraude à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) », rédigé avec la sénatrice Dominique Estrosi-Sassone (LR), on chiffre cette fraude à un 1,5 milliard d’euros. Ce système de l’Arenh est pourri jusqu’à la moelle, car il encourage à la fraude. La réalité, c’est que ceux qui sont pénalisés sont les usagers et EDF. Face à cette fraude massive, il faut en finir.
Vous avez déposé le 2 septembre une proposition de loi au Sénat pour la création du service public de l’énergie Groupe Énergie de France, qui précise dans son article 1er que « l’accès à l’énergie est un droit fondamental ». Un premier pas vers la création d’un véritable service public de l’énergie ?
F. G. : C’est l’objectif final. En restant modeste, on est les héritiers d’une ambition politique posée par Marcel Paul de nationaliser 1 300 entreprises gazières et électriques à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Cela a fonctionné.
Sous les coups des gouvernements libéraux successifs et de la Commission européenne, on a démantelé peu à peu le service public et cassé son monopole. Cela nous a entrainé dans le mur comme partout dans le monde. L’exemple du Texas aux États-Unis montre que les factures d’électricité peuvent grimper à 4 000 dollars de facture par semaine. Si on considère que l’énergie est un bien commun, elle doit sortir du marché.
Je rappelle que pendant la pandémie, Emmanuel Macron avait indiqué que des secteurs essentiels comme la santé devait sortir de la logique du marché. Pour l’énergie, c’est la même chose.
Avec cette proposition, je propose d’en finir avec les sangsues qui ne produisent rien et ensuite d’unir EDF étatisé, Engie ex-GDF et le mastodonte TotalEnergies.
Pour le XXIe siècle, je propose de sortir les 13 à 15 millions de personnes de la précarité énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique en décarbonant notre mix énergétique. Le capital répond à ses profits et ne pourra pas répondre à ces défis d’avenir.
Je propose la création de Groupe Énergie de France (GEdF) avec trois EPICs, un pour le gaz, un autre pour l’électricité et un troisième pour le pétrole, d’avoir un monopole public, qu’on puisse maitriser le prix, les coûts, les tarifs, qu’on investisse dans la transition énergétique, faire baisser l’utilisation des énergies fossiles et électrifier les usages. Ce mastodonte national et mondial pourrait aider un certain nombre de pays à avoir accès à l’énergie et être dans un monde de coopération. C’est un projet ambitieux de grand service public qui réponde aux besoins des populations et de la nation.
Ce projet reprend beaucoup d’arguments proposés par la FNME-CGT dans son Programme Progressiste de l’Énergie (PPE) budgétisé à 193 milliards. Quoi qu’il en soit, je pense qu’on va y venir. Je considère que nous avons une fenêtre de tir pour dire que la question énergétique doit sortir du système marchand. On ne s’en sortira pas par des petits à-coups politiques favorables à tel ou tel. Il faut que l’État se dote d’un plan et d’un outil. Pour moi, c’est GEdF !
Qu’on le veuille ou pas, nous aurons à l’avenir une rupture brutale dans nos modes de productions et de déplacements. On ne pourra pas vivre sur une planète où on prend 2 à 4°C d’augmentions des températures. Ceux qui auront anticipé ce virage seront mieux armés que ceux qui n’auront rien fait.
Dans dix ans, ceux qui nous prennent aujourd’hui pour des fous, seront plutôt d’accord. Quand il y a cinq ans, on disait qu’il fallait sortir de l’Arenh et du marché européen de l’énergie, tout le monde nous disait, même à gauche, « stop, personne ne parle de ça ». Aujourd’hui, après la crise que nous avons vécue, même les chantres de la libéralisation du secteur de l’énergie ont mis beaucoup d’eau dans leur vin.
Propos recueillis par Stéphane Gravier