À l’heure où nous écrivons ces lignes, le raccordement au réseau de l’EPR de Flamanville est imminent, après le succès des tests entamés au mois de mai. L’entrée en service de ce réacteur de 1,6 GW, ce qui en fait le plus puissant du parc, est une bonne nouvelle pour la sécurité de l’approvisionnement énergétique du pays. Mais, les leçons des retards et des surcoûts accumulés en 17 ans de chantier devront impérativement être tirées pour que le redémarrage actuel de la filière nucléaire soit une réussite industrielle.
Depuis le raccordement au réseau de Civaux 2 en 1999, plus aucun nouveau réacteur nucléaire n’était entré en service en France. Le démarrage de l’EPR de Flamanville, 57ᵉ réacteur du parc, vient donc clore une longue phase de mise en sommeil de la filière nucléaire française. De l’avis général, les difficultés rencontrées sur le chantier s’expliquent largement par la perte des compétences techniques durant ce quart de siècle marqué par les atermoiements politiques sur le nucléaire.
Dans un communiqué, la FNME-CGT « tient à saluer les bâtisseurs et exploitants, EDF, prestataires, fournisseurs qui se sont succédés et ont tous contribué à la mise en service de l’installation. C’est par leur abnégation que ce prototype a été démarré. Il restera un objet singulier qui nécessite une attention soutenue et des moyens humains suffisamment dimensionnés pour son exploitation et sa maintenance, mais il a permis d’amener ceux de demain ». Le communiqué rappelle aussi que « la CGT a alerté dès la conception de l’EPR sur les plannings et les coûts jugés proprement irréalistes ».
Dès l’enquête d’utilité publique conclue en 2006, la CGT rappelait dans son cahier d’acteur que la construction d’une centrale nucléaire nécessite dix ans, là où EDF annonçait un objectif déraisonnable de cinq ans. Surtout, le cahier d’acteur insistait sur le fait que l’EPR était une tête de série ayant vocation à servir de prototype : « Il faut d’ores et déjà décider d’un palier EPR avec la construction d’un à deux réacteurs par an à partir de 2015 ». Or rien de tel n’a été entrepris, du fait de l’objectif affiché, durant le quinquennat de François Hollande et le premier d’Emmanuel Macron, de réduire la part du nucléaire dans le mix électrique français à 50 %.
Les 17 années de chantier ont été marquées par des mobilisations continues de la CGT, que décrit bien le livre EPR Flamanville. Un chantier sous tensions (1), dirigé par les militants CGT Jean-Charles Risbec, Jack Tord et Jean-François Sobiecki. Le 25 juin 2015, un rassemblement d’une centaine de futurs exploitants du site dénonce par exemple « un mensonge institutionnel avec des promesses sur un planning qui ne sont jamais tenues ». La CGT impulse aussi de longues luttes visant à faire respecter le droit du travail sur le chantier, en particulier pour les salariés détachés venant d’autres pays de l’Union européenne, qui aboutissent à faire condamner en justice Bouygues pour travail dissimulé.
« Il s’agit de travailler à nouveau avec pragmatisme et humilité, dans un souci de progression continue d’une filière clouée au pilori après 20 années de moratoire » poursuit le communiqué de la FNME-CGT. Toute l’attention se focalise aujourd’hui sur le chantier EPR de Penly, qui se devra d’être socialement responsable. Deux exemples pourront être mis à profit : celui de la charte sociale des chantiers des Jeux olympiques de Paris, qui a permis de diviser par quatre les accidents du travail ; et le retour d’expérience de Flamanville, pour garantir fidélisation des travailleurs par l’amélioration des garanties collectives et leur transférabilité. C’est là un des enjeux du futur contrat de filière nucléaire, aujourd’hui en cours de discussion.
Nicolas Chevassus
(1) « EPR Flamanville. Un chantier sous tensions » sous la direction de Jean-Charles Risbec, Jack Tord et Jean-François Sobecki, éditions du Croquant, aout 2023, 391 p., 16 euros.