Avec près d’un an de retard, le ministère de la Transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques a annoncé que la concertation préalable du public sur les troisièmes éditions de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et de la Programmation pluriannuelle de l’Energie (PPE) sera ouverte à partir du 2 novembre pour une durée de six semaines. Décryptage avec Virginie Neumayer, membre de la Commission exécutive confédérale et coordinatrice CGT du groupe EDF .


L’accélération de la lutte contre le dérèglement climatique nécessites selon Agnès Pannier-Runacher, un engagement fort de chacun. Quel sera l’engagement de la CGT lors de ces consultations ?

Virginie Neumayer : La lutte contre le réchauffement climatique et la souveraineté énergétique sont des enjeux majeurs et transverses à tous les autres. Pour la CGT, le développement humain durable doit viser la satisfaction des besoins, et implique d’organiser la mise en œuvre de nouvelles politiques de développement en associant les enjeux économiques et environnementaux. Cette stratégie nécessite de renforcer les services publics, qui sont un des outils les plus efficaces pour atteindre les objectifs de neutralité carbone car non contraints par des objectifs de forte rentabilité financière et  court termiste. Ils doivent ainsi être préservés des logiques de marché et de mises en concurrence. L’urgence est aussi de réduire notre empreinte carbone par la relocalisation de la production de biens et services, tout en adaptant nos usages au changement climatique.

Par sa contribution à ses consultations, PPE, saisine du CNTE, débat parlementaire, la CGT est engagée dans ces échanges démocratiques en portant la nécessité de développer une stratégie industrielle sur le long terme pour tracer les lignes pour le futur. Mais demeure l’impérieuse nécessité d’organiser et d’élever le rapport de force avec les salariés pour faire aboutir les revendications portant sur la réappropriation sociale et capitalistique du secteur de l’Energie en particulier,  et dans la gestion des entreprises grâce à des droits d’interventions renforcés.

La publication de la troisième édition de la SNBC doit permettre d’atteindre l’objectif de – 50 % de nos émissions brutes de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. Est-ce un objectif atteignable ?

V. N. : Pour tenir la trajectoire de 2030 et obtenir la neutralité carbone en 2050, la planification dans la durée de l’aménagement du territoire est impérative. Elle nécessite un changement d’échelle dans les investissements concernant les transports, les bâtiments résidentiels et tertiaires, l’industrie, l’agriculture et l’alimentation. Concernant le secteur de l’Energie, les préconisations gouvernementales tendent à la suppression des énergies fossiles (charbon, produits pétroliers, gaz naturel). Cet objectif sera impossible sans recours à des ressources ou à des énergies de substitution, au regard des consommations actuelles des énergies primaires. Cette sortie est difficile à mettre en œuvre, car certains usages posent des problèmes de remplacement délicats voire impossibles à résoudre. 

Quant à la hausse conséquente de la consommation d’électricité bas carbone pour répondre au transfert d’usage, c’est un changement de paradigme d’importance car, depuis des décennies, il prévalait en haut lieu l’idée que cette consommation n’avait pas vocation à augmenter (fermeture de Fessenheim et de tranches thermiques) sans projet de transition d’une part, et sans maintien effectif des compétences et des investissements dans l’outil productif d’autre part.

Prolonger le parc nucléaire existant, conserver les tranches thermiques en les adaptant (Cordemais et Gardanne), engager et réussir un programme palier de réacteurs nucléaires, développer des filières biogaz, e-fioul et les activités minières, rénover les outils hydro-électriques, développer les réseaux de transports, de distribution, des moyens d’équilibrage des fluctuations renouvelables (dits « de flexibilité ») répond à un besoin impérieux. Il y a un effort industriel colossal à engager. Tant à l’amont (fourniture des matériels) qu’à l’aval (fourniture d’une énergie décarbonée).  Et qui ne pourra aboutir sans une interaction beaucoup plus constructive entre donneurs d’ordres et fournisseurs, qui dépasse largement les pratiques délétères d’appel d’offres, choix du moins disant, exécution bornée de ce qui a été commandé au mépris de toute logique réelle de qualité et de cohérence. Là aussi, il faut s’inscrire au rebours des pratiques sclérosées de l’économie libérale.

Cette transformation du système énergétique va s’étendre sur une trentaine d’années. Elle s’effectuera dans un univers économique et technique incertain, en proie aux guerres pour l’accès aux matières premières, et où l’énergie est un enjeu de pouvoir géopolitique. Il s’agit donc de définir le mix Energétique le plus adapté aux réalités et atouts de notre territoire, en considérant les couts complets du système électrique comme une donnée d’entrée essentielle.

Si la CGT est pour favorable à la transition énergétique, vous rappelez qu’elle doit être socialement juste. Au regard de la situation dans plusieurs entreprises de la Branche des IEG, peut on considérer que l’emploi est menacé ?

V. N. : Si les enjeux de neutralité carbone pour la France à l’horizon 2050 sont partagés car essentiels (la CGT le réaffirmera lors de la COP 29 qui va se tenir dans les prochaines semaines à Bakou en Azerbaïdjan), la réduction des inégalités l’est tout autant en France, et au niveau international.

L’effort maximal ne peut pas être porté par les plus modestes, dont une part très élevée des dépenses incompressibles, telles que le logement, les transports, l’énergie, est contrainte par le signal prix. La crise énergétique a aggravé le sentiment de déclassement des travailleurs, des industries ont réduit voire arrêtée leur production. Ce sentiment de déclassement est un terreau fertile pour les idées d’extrêmes-droite et de repli sur soi.

Construire une trajectoire de consommation sur une telle tendance reviendrait à abandonner toute perspective de réindustrialisation et à pérenniser le déficit industriel actuel.

A contrario, engager des investissements dans des infrastructures peut être aujourd’hui jugé superflu, mais le préjudice social et économique serait sans commune mesure avec celui, bien plus élevé, d’une pénurie. Pour la CGT, le mix-cible 2050 doit couvrir une demande nettement supérieure à cette trajectoire de référence, c’est pourquoi les moyens de productions pilotables ( Gardanne, Cordemais) , les infrastructures gazières,  les emplois et compétences associées doivent être pérennisés et adaptés en fonction des réalités actuelles et futures.

Sans plus attendre, il faut définir une trajectoire soutenable d’une transition juste, abordable, et sociale par une planification de long terme et un changement d’échelle.